Bien qu’une description de la maladie maintenant connue sous le nom de diabète de type 2 existe depuis des millénaires, ce n’est que dans les dernières décennies, grâce à la méthode scientifique, que nous comprenons mieux les mécanismes derrière le développement, l’évolution et les conséquences de ce problème. Il existe des centaines d’études scientifiques sur ce sujet. Dans cet article, je propose un résumé de quelques études importantes qui ont influencé l’approche thérapeutique et la prise en charge du diabète de type 2 en espérant que cela vous aide à mieux comprendre d'où proviennent les décisions concernant votre diabète de type 2.
Voici deux citations intéressantes tirées de l’analyse combinée des données individuelles des participants de 19 pays à des études de cohorte incluant des informations telles que l’âge au moment du diagnostic de diabète, les maladies cardiovasculaires et la mortalité. De cette analyse ressort les conclusions suivantes :
Développer le diabète tôt dans la vie augmente significativement le risque de mourir jeune : “Globalement, chaque décennie de diagnostic précoce du diabète était associée à une espérance de vie réduite d’environ 3 à 4 ans. Notre modélisation a suggéré que, pour les personnes survivant jusqu’à 50 ans, celles diagnostiquées avec le diabète à 30 ans sont décédées 14 ans plus tôt que les personnes non diabétiques, celles diagnostiquées à 40 ans sont décédées 10 ans plus tôt et celles diagnostiquées à 50 ans sont décédées 6 ans plus tôt.”
Contrôler le taux de sucre de manière rapide et rigoureuse prévient efficacement les complications associées au diabète : “De plus, nous avons observé une atténuation substantielle de la surmortalité associée au diabète après ajustement des marqueurs glycémiques, ce qui suggère que la détection précoce du diabète par dépistage et une gestion intensive de la glycémie sont pertinentes pour la prévention des complications à long terme chez les adultes atteints de diabète de type 2.”
Le seuil de décision
Le diagnostic du diabète de type 2 est basé principalement sur la mesure du taux de sucre dans le sang (ou glycémie). La mesure peut être faite de manière directe par prélèvement sanguin à jeun ou suite à l'ingestion d'une solution contenant 75 grammes de glucose (une sorte de sucre). On obtient alors un résultat qui reflète la quantité de glucose par unité de volume sanguin exprimée en mmol/Litre ou mg/décilitre. La mesure peut également être faite de manière indirecte par une valeur représentant la moyenne de la glycémie dans les deux à trois mois précédents la prise de sang représentée par l'hémoglobine glyquée (HbA1c). Cette valeur est exprimée en pourcentage.
Voici les seuils diagnostic du diabète de type 2 et du prédiabète tirés des lignes directrices de pratique clinique canadienne publiées en 2018 (1) :


Au delà des simples unités de mesure, ces valeurs représentent bien souvent des bouleversements majeurs dans la vie des individus en recevant la nouvelle. Mais d'où provient l'information supportant le seuil diagnostic du diabète de type 2? Les lignes directrice de pratique se réfèrent entre autres à un article parut dans la revue diabetes care en novembre 2011.(2)
Design et méthodologie de l'étude
Cet article présente une analyse ayant servi de base, et reproduite à dans de nombreuses études, pour déterminer le seuil à partir duquel la glycémie est considérée suffisamment élevée pour nécessiter une prise en charge plus active. Ce seuil provient provient de la relation entre un problème associé à l'évolution du diabète, la rétinopathie, et le niveau de glycémie.
La rétinopathie est une maladie des yeux qui affecte la rétine, la membrane transparente sensible à la lumière qui se trouve au fond de l'œil. Cette problématique est souvent causée par le diabète (rétinopathie diabétique) ou l'hypertension. Elle survient lorsque les petits vaisseaux sanguins de la rétine sont endommagés, ce qui peut entraîner une vision floue, des taches noires dans le champ de vision ou, dans les cas graves, une perte de la vue. Chez les diabétique de type 2, ce problème est fréquemment présent au moment du diagnostic. Il est possible de quantifier le degré d'atteinte de l'œil en procédant à une photographie de la rétine.
Dans cette étude, les chercheurs avaient comme objectif de revalider le lien entre la glycémie et le développement de la rétinopathie. En effet, des études antérieures avaient déjà mis en évidence le lien entre la rétinopathie et le diabète et servi de base pour établir les critères du diagnostic. Cependant, la faible taille des groupes étudiés limitait la puissance de ces études. En utilisant un échantillon de population de grande taille, les chercheurs visaient à différencier avec précision la rétinopathie liée au diabète et ainsi confirmer les conclusions des études précédentes. Pour y parvenir, ils ont effectué une étude transversale comparative analysant de l'information concernant ces deux facteurs à partir d'une grande base de données rassemblant 5 pays et près de 45 000 participants. Tous ces participants avaient en commun au moins deux facteurs récoltés à un moment unique dans le temps : une photographie de la rétine et une mesure du taux de sucre dans le sang, de l'HbA1c ou les deux. Suite à la récolte de ces informations, une analyse statistique fut pratiquée afin d'évaluer les facteurs suivants :
Le nombre de cas de rétinopathie spécifique au diabète par intervalle mesuré de taux de sucre dans le sang.
La capacité de la mesure du taux de sucre de prédire correctement la présence ou l'absence de rétinopathie de manière véridique.
Résultats
Des 44 623 participants de cette étude, 16 381 participants n'étaient pas diabétique selon les critères affichés dans le tableau ci-dessus et 28 242 participants étaient diabétique. Du total, 3002 participants souffraient de rétinopathie diabétique. Voici la répartition des patients en terme de pourcentage de rétinopathie détecté selon les différents niveaux de glycémie mesurés sur une répartition des participants en 20 groupes égaux :

Afin d'établir le seuil de glycémie associé à la présence significative de rétinopathie diabétique, les chercheurs ont entre autres calculé le rapport de cote en comparant chacun des vingt sous groupes avec le premier (utilisé comme groupe contrôle). Dans cette étude, le rapport de cote représente les "chances" d'avoir une rétinopathie diabétique selon le niveau de glycémie. L'analyse statistique révéla une association significative dans le rapport de cote des groupes 17 et 18 comparé au groupe contrôle pour la mesure de glycémie à jeun (ou FPG) et le niveau d'HbA1c respectivement. Cela révèle l'information suivante :
Un individu ayant une glycémie à jeun entre 6,4 à 6,8 mmol/L à 2,5 fois plus de chances de souffrir de rétinopathie diabétique qu'un individu ayant une glycémie à jeune entre 1,7 et 4,4 mmol/L.
Un individu ayant une HbA1c entre 6,3 et 6,7% à 4,5 fois plus de chances de souffrir de rétinopathie diabétique qu'un individu ayant une HbA1c entre 3,1 et 4,5%.
Un individu ayant un résultat de test de tolérance au glucose entre 9.8 et 10,6 mmol/L à 10 fois plus de chances de souffrir de rétinopathie diabétique qu'un individu ayant obtenu un résultat entre 1,1 et 4,3 mmol/L.
Les chercheurs ont ensuite procédé à une analyse statistique nommé courbe de sensibilité/spécificité. Cette courbe permet d'évaluer la probabilité que le lien apparent entre les mesures effectuées (glycémie à jeun, HbA1c et test de tolérance au glucose) et la présence de rétinopathie diabétique ne soit pas simplement dû qu'au hasard. Elle permet également d'optimiser le seuil de diabète estimé vers une mesure cible. Basé sur ces calculs, les chercheurs purent confirmer que les différentes méthode utilisées pour mesurer la glycémie prédisent de manière satisfaisante la présence de rétinopathie diabétique.
Le seuil de diabète suggéré retenu par les chercheur et correspondant à la glycémie prédisant avec le plus d'exactitude la présence de rétinopathie diabétique est le suivant :
glycémie à jeun supérieur ou égal à 6,5 mmol/L
HbA1c supérieur ou égal à 6,5%
résultat du test de tolérance au glucose supérieur ou égal à 11,1 mmol/L
Non seulement ces résultats confirment les seuils existants pour l'HbA1c et le test de tolérance au glucose mais ceux-ci suggèrent un abaissement du seuil diagnostic évalué par la mesure d'une glycémie à jeun à un niveau correspondant présentement au pré diabète.
Cette étude épidémiologique a établi une corrélation significative entre une complication du diabète, la rétinopathie, et le niveau de glycémie. C'est une complication facile à identifier et à un certain degré très spécifique au diabète. Comme elle se développe habituellement après quelques années passées avec une glycémie élevée, l'absence de rétinopathie n'indique pas nécessairement l'absence de diabète mais la présence de rétinopathie modérée à sévère indique probablement la présence de diabète. La prévention de l'aggravation de la rétinopathie repose sur une bonne adhérence au traitements antidiabétiques prescrits ainsi que sur une évaluation des habitudes alimentaires et du niveau d'activité physique.
Il est intéressant de noter que la majorité des patients examinés dans l'étude étaient déjà diabétiques et recevaient donc des médicaments ayant pour but de réduire la glycémie. L'impact de ce facteur pourrait donc réduire artificiellement le seuil calculé. La perte de puissance statistique qui aurait été liée au retrait des patients diabétiques de l'étude rendait impossible leur exclusion. Il est donc impossible d'évaluer avec précision à quel niveau de glycémie la rétinopathie se développe. Outre la rétinopathie, à ce jour, aucune étude n'est parvenue à établir un seuil diagnostic clair en utilisant les autres complications liées au diabète de type 2.
Le diabète de type 2 est une maladie à multiples complications. Sans intervention, environ 5 à 10 % des personnes prédiabétiques développent un diabète de type 2 chaque année, et près de la moitié progressent vers cette maladie en dix ans. De plus, même de petites augmentations de l'HbA1c sont associées à un risque plus important de décès cardiovasculaire. Par exemple, comparativement à une valeur de base 4,27% le risque de décès cardiovasculaire (par exemple une crise cardiaque) augmente de 34 % pour une valeur d'HbA1c de 6% (correspondant au seuil actuel de prédiabète) et de 58 % pour une valeur de HbA1c de 7%.(3) Malgré la difficulté d'établir un seuil diagnostic clair, vue les bénéfices importants liés au traitement précoce de cette maladie, il semble pertinent d'opter pour une approche plus proactive dans l'instauration du traitement.
Références
1- Punthakee, Z., Goldenberg, R., & Katz, P. (2018). Définition, classification et diagnostic du diabète, du prédiabète et du syndrome métabolique. Canadian Journal of Diabetes, 42(Suppl. 1), S10-S15. https://doi.org/10.1016/j.jcjd.2017.10.003
2- Colagiuri S, Lee CM, Wong TY, et al. Glycemic thresholds for diabetes-specific retinopathy: Implications for diagnostic criteria for diabetes. Diabetes Care. 2011;34:145-150.
3- Santos-Oliveira, R., Purdy, C., Pereira da Silva, M., dos Anjos Carneiro-Leão, A. M., Machado, M., & Einarson, T. R. (2011). Haemoglobin A1c levels and subsequent cardiovascular disease in persons without diabetes: a meta-analysis of prospective cohorts. Diabetologia, 54(6), 1327-1334.