La dépression majeure, également appelée trouble dépressif majeur, est une maladie fréquente et invalidante qui affecte profondément l’humeur, la cognition et le fonctionnement quotidien des individus. Elle se manifeste par une tristesse persistante, une perte d’intérêt pour les activités habituellement plaisantes, ainsi que divers symptômes physiques et cognitifs, tels que des troubles du sommeil, une fatigue intense et des pensées négatives récurrentes. Son impact sur la qualité de vie est considérable, et sans prise en charge adéquate, elle peut entraîner des complications graves, notamment un risque accru de suicide. Le diagnostic repose sur des critères cliniques précis, et la prise en charge initiale combine généralement une approche pharmacologique et psychothérapeutique adaptée aux besoins spécifiques du patient.
Les traitements pharmacologiques standards de la dépression majeure reposent principalement sur l’utilisation d’antidépresseurs, dont l’efficacité a été largement démontrée dans la prise en charge de ce trouble. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), comme la fluoxétine, la sertraline et l’escitalopram ou les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN), sont souvent prescrits en première intention en raison de leur profil d’efficacité et de leur bonne tolérance. Le choix du traitement repose sur une évaluation individualisée, tenant compte des antécédents du patient, de la sévérité des symptômes et des éventuelles comorbidités, afin d’optimiser l’efficacité tout en minimisant les risques.
Les antidépresseurs et la psychothérapie sont tous deux plus efficaces qu’un placebo pour traiter la dépression majeure, et leur efficacité est comparable en début de traitement. Par exemple, une méta-analyse, c'est à dire une analyse statistique regroupant ensemble plusieurs études sur une problématique similaire, portant sur quatre études avec 775 participants a montré que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) seule était aussi efficace qu’un antidépresseur de seconde génération (comme un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine - ISRS) pour améliorer les symptômes. Environ 54 % des patients sous TCC et 55 % sous antidépresseurs ont observé une amélioration de leur état, et environ 41 % sous TCC et 44 % sous antidépresseurs ont atteint une rémission complète. (1) Une autre méta-analyse portant sur 37 essais regroupant plus de 8 400 participants souffrant de dépression majeure a révélé des taux plus élevés de rémission à six semaines chez les personnes traitées par fluoxétine ou venlafaxine comparativement au placebo (43 % contre 29 % ; OR = 1,82, IC 95 % : 1,66-2,00). Le traitement antidépresseur était efficace à la fois dans les formes légères (50 % contre 37 % de rémission) et sévères (38 % contre 25 % de rémission). (2)
Il ressort donc de ces analyses que tous les traitements disponibles pour la dépression majeure produisent une rémission dans moins de 50% dans cas. Dans ce contexte, de nouvelles avenues de traitement doivent être recherchées.
La psilocybine comme alternative de traitement?
La psilocybine, un composé hallucinogène extrait de champignons communément appelés champignons magiques, suscite un intérêt croissant en tant que traitement alternatif, mais peu d’études ont comparé directement son efficacité avec celle des antidépresseurs traditionnels. C’est dans ce contexte que cette étude clinique a été menée afin d’évaluer les effets de la psilocybine par rapport à l’escitalopram dans le traitement de la dépression majeure.
Design de l'étude
Cet essai clinique a été mené sur 59 patients souffrant de dépression d'intensité modérée à sévère tel que mesuré par le questionnaire Hamilton Depression Rating Scale (HAM-D). Les participants étaient âgés entre 18 et 80 ans et souffraient de dépression depuis plusieurs années. Ils devaient cesser toute prise de médicaments contre la dépression 2 semaines avant le démarrage de l'étude.
L'étude s'est déroulée sur une durée de six semaines. Il s’agissait d’un essai randomisé, contrôlé et en double aveugle, ce qui signifie que les participants ont été répartis aléatoirement en deux groupes et que ni eux ni les chercheurs ne savaient quel traitement ils recevaient. Le premier groupe a reçu deux doses de 25 mg de psilocybine administrées à trois semaines d’intervalle, accompagnées d’un placebo quotidien. Le second groupe a reçu deux doses de 1 mg de psilocybine (une dose trop faible pour produire un effet notable) à trois semaines d'intervalle et un traitement quotidien à l’escitalopram à dose intiale de 10mg augmentée à 20mg après 3 semaines. Tous les participants ont bénéficié d’un soutien psychologique encadré tout au long de l’étude. Initialement, un groupe recevant un placebo pendant toute la durée de l'étude devait être inclus mais celui-ci fut finalement exclus.
Les critères d'exclusion de l'étude étaient nombreux. Notamment, les participants ne devaient pas avoir été diagnostiqués, actuellement ou par le passé, avec un trouble psychotique, ni avoir un membre de leur famille immédiate atteint d’un tel trouble. Toute condition médicale significative, comme le diabète, l’épilepsie, une maladie cardiovasculaire sévère ou une insuffisance hépatique ou rénale, pouvait également rendre un patient inéligible. Les antécédents de tentatives de suicide ayant nécessité une hospitalisation, ainsi que des épisodes de manie, constituaient aussi des critères d'exclusion. Tout patient ayant déjà reçu l'escitalopram était également exclu de l'étude.
Résultats
L'efficacité des traitements a été évaluée principalement à l'aide du 16 items Quick Inventory of Depressive Symptoms (QIDS-SR-16), une échelle de mesure des symptômes dépressifs allant de 0 à 27 points sur laquelle un résultat élevé indique des symptômes plus sévères. Une comparaison fut effectuée entre le résultat au début de l'étude et à la fin des six semaines. Les deux groupes ont montré une amélioration de leurs symptômes. La diminution moyenne du score de dépression était de -8,0 dans le groupe psilocybine contre -6,0 dans le groupe escitalopram. Après analyse, il fut révélé que cette différence n’était pas statistiquement significative, ce qui indique qu'au mieux la psilocybine est d'efficacité équivalente à l'escitalopram.
En revanche, plusieurs résultats secondaires ont montré une tendance en faveur de la psilocybine. Par exemple, 70 % des patients du groupe psilocybine ont connu une amélioration de plus de 50 % de leurs symptômes, contre 48 % dans le groupe escitalopram. De plus, 57 % des patients sous psilocybine étaient en rémission complète à la fin de l’étude, contre seulement 28 % dans le groupe escitalopram. Malgré ces tendances favorables à la psilocybine, il est important de noter que les analyses statistiques n’ont pas pris en compte le risque d’erreurs liées aux comparaisons multiples, ce qui signifie que ces résultats doivent être interprétés avec prudence.
Analyse
En ce qui concerne les effets secondaires, ils étaient globalement comparables entre les deux groupes. L'escitalopram a toutefois été associé à une présence plus élevée d’anxiété et de sécheresse buccale tandis que le principal effet indésirable de la psilocybine était des maux de tête transitoires dans les 24 heures suivant l’administration. Les patients du groupe psilocybine ont également rapporté une amélioration perçue plus importante concernant leur capacité à pleurer et à ressentir de la compassion, des émotions intenses et du plaisir, et ont également indiqué se sentir moins somnolents que ceux du groupe escitalopram. Aucun effet secondaire grave n’a été rapporté dans l’étude.
L'un des principaux points forts de cette recherche est la rigueur de son protocole, avec un essai contrôlé, randomisé et en double aveugle, ce qui réduit les risques d'erreur. De plus, la comparaison directe entre un antidépresseur classique et la psilocybine est une avancé dans l’évaluation des traitements alternatifs pour la dépression. L’accompagnement psychologique offert aux participants constitue également un élément clé, en veillant à optimiser l’expérience thérapeutique et à limiter les risques liés à l’utilisation de la psilocybine. Le schéma thérapeutique utilisé pour la psilocybine, avec la prise de seulement deux doses sur une période de 6 semaines, pourrait être avantageux par rapport à un traitement devant être pris quotidiennement afin de réduire l'inobservance au traitement.
Toutefois, plusieurs limites doivent être soulignées. Les nombreux critères d'exclusions limites la possibilité de généraliser ces résultats à l'ensemble de la population. La courte durée de l’essai pourrait être un désavantage pour l’escitalopram, dont les effets peuvent mettre plus de temps à se manifester pleinement (jusqu'à 12 semaines). De plus, en pratique, la dose d'escitalopram est augmentée après 1 semaine lorsque le traitement est bien toléré et non après 3 semaines. Cela aurait pu impacter l'efficacité du traitement lors de l'évaluation à 6 semaines. Bien que les résultats tendent à démontrer que la psilocybine a une efficacité intéressante au niveau de la rémission des symptômes dépressifs, l'analyse statistique ne permet pas d'établir sa supériorité par rapport au traitement standard. Il est également d'usage d'effectuer une comparaison contre un placebo afin "d'isoler" l'efficacité d'un traitement. Cette comparaison, prévu initialement dans l'étude, fut annulée en cours de route dû à des moyens trop limités pour suivre et analyser correctement trois groupes de participants. Enfin, l’échantillon de patients était composé majoritairement de volontaires manifestant une préférence à recevoir la psilocybine, ce qui pourrait introduire un biais, puisque ces personnes étaient potentiellement déjà favorables à l’usage de la psilocybine.
Il est pertinent de mentionner qu'une analyse subséquente d'une partie des données de cette étude fut menée avec comme objectif d'analyser spécifiquement l'impact des attentes par rapport à l'efficacité du traitement. Cette analyse révéla que pour les individus ayant de faibles attentes envers l'escitalopram, la psilocybine s'est révélée significativement plus efficace que l'escitalopram pour réduire les symptômes dépressifs. En revanche, pour les individus ayant des attentes élevées envers l'escitalopram, les traitements ne présentaient pas de différence significative. Cette analyse met en lumière l'impact non négligeable que les croyances d'un individu peut avoir sur l'efficacité d'un traitement et l'importance de bien informer les gens dans ce processus de choix.
Cette étude suggère que la psilocybine pourrait être au moins aussi efficace que l’escitalopram, voire légèrement plus avantageuse sur certains critères, tout en présentant un profil de tolérance similaire. Il est intéressant de souligner que pour des individus possédant des attentes positives envers la psilocybine, ce traitement pourrait représenter une option très intéressante. Par contre, une sélection rigoureuse, une supervision initiale plus intensive et un support psychologique continu semblent essentiels afin d'assurer une bonne expérience et éviter qu'une utilisation inadéquate mène à des effets indésirables importants, comme des hallucinations. Ces résultats sont prometteurs, mais ils nécessitent d’être confirmés par des essais plus vastes et de plus longue durée, afin d’évaluer l’efficacité à long terme de la psilocybine et d’examiner son potentiel comme alternative aux traitements standards dans le traitement de la dépression majeure.
Références
1- Gartlehner G, Dobrescu A, Chapman A, et al. Nonpharmacologic and Pharmacologic Treatments of Adult Patients With Major Depressive Disorder: A Systematic Review and Network Meta-analysis for a Clinical Guideline by the American College of Physicians. Ann Intern Med 2023; 176:196.
2 - Gibbons RD, Hur K, Brown CH, et al. Benefits from antidepressants: synthesis of 6-week patient-level outcomes from double-blind placebo-controlled randomized trials of fluoxetine and venlafaxine. Arch Gen Psychiatry 2012; 69:572.